Les Russes et les étrangers
«Никогда не разговаривайте с неизвестными» ou «Ne parlez jamais à des inconnus»... est le titre du premier chapitre. Les étrangers réveillaient dans l'Union soviétique aussi bien de la curiosité comme du soupçon. Parce qu'ils représentaient la séduction de l'étranger, aussi bien que le risque d’espionnage.
Un des corollaires de la décision de Stalin de construire le socialisme dans un seul pays était un isolement croissant de l'Union soviétique. Beaucoup de pays étaient effectivement hostiles à l'Union soviétique et les idéologues définissaient la situation comme «l'encerclement capitaliste» - chaque pays, chaque étranger était un ennemi potentiel. On ne permettait pas aux Russes de voyager à l'étranger et on accordait la permission d'entrer dans l'Union soviétique à très peu d'étrangers. Et ceux qui entraient étaient regardés très soigneusement.
Les étrangers avaient besoin des documents spéciaux et devraient être enregistrés partout où ils séjournaient. Il y avait des régions où on ne leur permettait pas d'entrer. Par exemple, si on avait un visa et une permission pour séjourner à Moscou, on ne pouvait pas s'égarer plus loin que 20 kms du centre de la ville sans autorisation. Une branche spéciale du NKVD avait comme mission d'observer les étrangers en Russie.
Des hôtels spéciaux étaient désignés pour les visiteurs étrangers. Le Metropol à Moscou et l'Astoria à Léningrad en sont deux exemples, tous les deux sont mentionnés dans Le maître et Marguerite. Il était impossible d’y entrer pour le citoyen soviétique moyen. Sans les documents appropriés, personne n'était autorisé d'entrer.
Hôtel Metropol à Moscou
Dans la langue russe un étranger est indiqué par le mot иностранец (inostranïets), mais dans le temps le mot немец [nemets] était utilisé. Ce mot avait un sens double, pourtant, parce qu’il signifiait, en plus d'étranger, aussi allemand. Ainsi quand Ivan, dans le premier chapitre du Maître et Marguerite demande à Woland «Вы немец?», cela peut signifier «êtes-vous allemand?» aussi bien que «est-ce que vous êtes un étranger?»Немец [nemets] viendrait du verbe неметь [nemet], ce qui veut dire devenir muet. Un nemets est alors un «muet», dans le sens de quelqu'un qui ne parle pas de russe.
L'attitude officielle vers les étrangers a changé radicalement après la dissolution de l'USSR en 1991. Les visiteurs de l'Union Européenne ont toujours besoin d'un visa pour entrer en Russie - et ils devraient être enregistrés dans les trois jours après l'arrivée - mais il est facile d'obtenir le visa et la procédure d'entrée à l'aéroport de Sheremetïevo est encore plus rapide que quand vous revenez à l'aéroport de Bruxelles.
Mais encore aujourd'hui beaucoup de Russes ne savent pas bien comment réagir aux étrangers. Même dans une ville avec des millions d'habitants comme Moscou il y a beaucoup de gens qui parlent seulement le russe et quand un étranger leur parle, même si c'est juste pour demander la route, ils se retournent et s'éloignent sans dire un simple mot. Cela peut paraître une réaction étrange aux Belges. Dans nos villes ça arrive tous les jours que l'on demande le chemin dans une langue étrangère et quand vous conduisez une heure en voiture - dans n'importe quelle direction - vous arrivez à l'étranger. De Moscou, pourtant, vous devez conduire des milliers de kilomètres avant de rencontrer la première personne qui ne parle pas de russe, la plupart des Russes n'ont même jamais été à l'extérieur de la Russie - ou d'au moins l’ancienne Union soviétique. En Russie vous rencontrerez rarement des gens avec une peau noire. Quand un Moscovite parle d'une personne «noire» il ne parle pas de quelqu'un avec une peau noire, mais de quelqu’un avec les cheveux noirs - quelqu'un du Caucase.
L'affiche de propagande suivante de 1940 met en garde le citoyen soviétique de parler à des étrangers: «Soyez vigilants dans nos jours. Les murs sont à l'écoute. Les bavardages et les potins conduisent à la trahison. Ne parlez pas!»
Ne parlez pas!