Les simulacres de procès à la Fédération de Russie

Bien qu'il n'y aient plus d'exécutions de masse, la Fédération de Russie est de nouveau confrontée avec le phénomène de simulacres de procès depuis la première élection de Vladimir Vladimirovitch Poutine (°1952) comme président en 2000. Avant de devenir président, Poutine a eu une carrière dans la police secrète de l'Union soviétique. De 1985 à 1990, il a été à Dresde, en ex-RDA, comme un officier du KGB en charge de l'interrogatoire et l'internement des dissidents et des «espions occidentaux qui voulaient envahir l'Union soviétique». Juste avant sa nomination comme ministre dans le gouvernement de Boris Nikolaïevitch Eltsine en 1999, Poutine a été le chef du Федеральная служба безопасности Российской Федерации (ФСБ) [Federalnaïa sloujba bezopasnosti Rossiskoi Federatsi] (FSB) ou Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie,, le successeur du KGB.

Officier du KGB Vladimir Poutine
Officier du KGB Vladimir Poutine

En tant que président, Poutine a montré qu’il maîtrise encore bien les techniques de l’ancien KGB. Il l'a montré pour la première fois lors des procès contre Mikhaïl Borissovitch Khodorkovski (°1963) et Platon Léonidovitch Lebedev (°1956), les anciens propriétaires de la compagnie pétrolière Ioukos.

Mikhaïl Khodorkovski et Platon Lebedev

Khodorkovski, qui était devenu l'homme le plus riche de Russie dans les années 1990, s'est fait remarquer non seulement par sa critique de la corruption dans le système politique russe, mais aussi par son engagement à une politieque ouverte avec son mouvement Открытая Россия [Otkrytaïa Rossia] ou La Russie ouverte, et il a apporté son soutien actif à divers partis d'opposition libéraux-démocrates à l'approche des élections législatives russes de 2004.

Mikhaïl Khodorkovski
Mikhaïl Khodorkovski

En février 2003, lors d'une réunion au Kremlin diffusée à la télévision, Mikhaïl Khodorkovski a interrogé Poutine en public sur la corruption. Il a laissé entendre que les principaux responsables du gouvernement acceptaient millions de pots de vin et il a montré une présentation PowerPoint illustrant les coûts de la corruption pour l'économie russe. Le 25 octobre, Khodorkovski et Lebedev ont été arrêtés sur des soupçons d'évasion fiscale, de fraude et de détournement de fonds. Yukos a été démantelé, et les parties les plus rentables ont été transférées à Rosneft, une compagnie pétrolière qui était dirigée par Igor Ivanovitch Setchine (°1960). Setchine est un ancien espion du KGB et l'un des conseillers les plus conservatrices de Poutine. Il a été Vice-premier ministre dans le cabinet de Poutine et chef de la Комманда Силовиков [Kommanda Silovikov] ou Les hommes du pouvoir, un lobby des anciens agents du KGB, et donc des amis de Poutine, au Kremlin.

Platon Lebedev
Platon Lebedev

Dans une tentative dedétourner l'attention du procès, il a été mené dans la cour moins significative du district de Mechtchanski à Moscou. Dans les coulisses, cependant, le Kremlin et la Première Cour de Moscou, le plus haut organe judiciaire de la ville de Moscou, ont joué un rôle de guide. Le 31 mai 2005, Khodorkovski et Lebedev ont été condamnés à 9 ans de prison pour l'évasion fiscale et la fraude. Le 22 septembre 2005, le verdict a été confirmé en appel dans une session d'une journée et la peine a été réduite à 8 ans.

Comme il y avait un risque réel que Chodorkovski et Lebedev pourraient profiter d'une libération conditionnelle avant les élections présidentielles de 2012, et donc éventuellement perturber la réélection de Poutine en tant que président, des nouvelles «infractions» ont émergé, et un deuxième procès contre eux a été mis en scène. Cette fois-ci, ils ont été accusé du vol de 350 millions de tonnes de pétrole. Outre le fait que cela est physiquement impossible, il est apparu que le juge Viktor Nikolaevitch Danilkine (°1957) a été régulièrement «ajusté» par le Kremlin pendant le procès. Danilkine a eu des difficultés avec les accusations parfois absurdes et a dû régulièrement être mis «à la bonne voie».

Viktor Danilkine
Le juge Viktor Danilkine lit le verdict

Le 14 février 2011, Natalia Vasilieva, une assistante du juge Danilkine, a témoigné que le juge avait préparé son verdict dans le but de la présenter le 16 décembre 2010. Le 15 décembre, cependant, la présentation a été reportée au 27 décembre pour des raisons inconnues. Le 16 décembre, il est devenu clair pourquoi: ce jour-là, Poutine a fait un discours controversé dans lequel il a dit que Khodorkovski était un voleur et devrait donc être à la prison. Vasilieva a témoigné que le jugement initial de Danilkine a été modifié et qu'il a présenté ce nouveau verdict contre son gré. En conséquence de ce verdict ajusté, Khodorkovski et Lebedev ne pouvaient pas être libéré avant le mois d'août 2014.

En 2011, le président russe Dmitri Anatolievitch Medvedev (°1965) a demandé au Conseil des droits de l'homme du Kremlin pour enquêter l affaire Khodorkovski. Le Conseil a conclu que Khodorkovski et Lebedev étaient innocents. Cela n'a pas mené à une libération. Au contraire, les neuf membres du Conseil ont été accusés de corruption. Cinq d'entre eux ont fait l'objet d'interrogations et de poursuites. Certains ont perdu leur emploi ou ont dû aller à l'étranger. En outre, un troisième cas contre Khodorkovski et Lebedev était préparé.

Dans la période précédant les Jeux olympiques d'hiver de 2014 à Sotchi, un projet où Poutine voulait briller devant les yeux du monde entier, de nombreux dirigeants du monde avaient annoncé qu'ils ne seraient pas présents aux cérémonies. Des raisons réelles n'ont pas été données, mais il était clair que la manière dont les droits de l'homme ont été violés en Russie était à la base, surtout l'arrestation de 30 militants de Greenpeace quelques mois plus tôt, l'affaire Khodorkovski et la loi russe anti-gai. Le 17 décembre 2013, le président américain Barack Obama a dit qu'il ne viendrait pas lui-même. En plus, dans la délégation américaine il avait nommé deux gais notoires: la légende du tennis Billie Jean King (°1943) et lr joueur de hockey Caitlin Cahow (°1985). Selon la journaliste américano-russe Masha Gessen, Poutine surgit pour le spectre de se voir entouré par «seul le président ukrainien et deux homosexuels américains» lors de l'ouverture de son projet de prestige personnel. Quoi qu'il en soit, le 19 décembre 2013, Poutine a annoncé de façon inattendue que Mikhaïl Khodorkovski pourrait être libéré, ce qui s'est effectivement passé le lendemain. Le 20 décembre 2013, Khodorkovski a atterri comme un homme libre à Berlin. Selon Poutine, il est libre de revenir en Russie, mais on peut se demander si cela va se produire, comme les enquêtes sur le possible troisième procès n'ont pas été mises en arrêt.

Deux jours plus tard, la chaîne Radio Svoboda a publié sur son site Internet un article intitulé Dossier Poutine. Dans ce dossier, il était indiqué que la libération de Khodorkovski aurait eu lieu sous la pression du gouvernement allemand. Le Bundesnachrichtendienst (BND), l'un des trois services secrets allemands, avait la preuve que Poutine, alors qu'il était encore adjoint au maire de Saint-Pétersbourg, entretenait des liens étroits avec la mafia russe par l'intermédiaire de la société Sankt Petersburg Immobilien und Beteiligungs AG (SPAG), enregistrée en Allemagne, qui avait fait fortune grâce à des pratiques illégales. La chancelière allemande Angela Merkel (°1954) aurait utilisé cette information comme moyen de pression pour la libération de Khodorkovski. Après tout, Poutine était étroitement impliqué dans SPAG. Il était membre du conseil consultatif de l'entreprise depuis sa création en 1992. L'une des pratiques louches concernait la mystérieuse disparition d'une tonne de cocaïne saisie aux mains de Viktor Vasilievitch Tcherkesov (1950-2022), alors directeur du FSB à Saint-Pétersbourg.

Viktor Vasilievitch Tcherkesov
Viktor Vasilievitch Tcherkesov montre la cocaïne qui a disparu plus tard

Le 28 juillet 2014, la Russie a été condamnée par la Cour permanent d'arbitrage de La Haye pour la façon dont Mikhaïl Khodorkovski et Yukos ont été traités. Outre le fait que la Russie a été condamnée à payer une compensation de 50 milliards de dollars, la Cour a été très sévère dans sa motivation. Le démantèlement de Yukos a été politiquement motivé, dans le but de pousser l'entreprise à la faillite, de saisir ses actifs et de les céder à des entreprises d'Etat, et d'éliminer politiquement le chef de l'entreprise, Mikhail Khodorkovski.

Il s'agit de la plus grande compensation jamais accordée par la Cour à La Haye: elle est 20 fois plus grande que la deuxième, et ne prend même pas en compte les plaintes des actionnaires minoritaires dont les dossiers n'ont pas encore été examinés.

Les conséquences pour la Russie étaient énormes: la somme égale 11 % des réserves financières du pays et 10 % du budget du gouvernement. En outre, il y aura des conséquences pour Rosneft, le géant de l'énergie qui a repris la plupart des actifs de Yukos, et dontla société pétrolière BP (British Petroleum) étaitt devenue un actionnaire minoritaire. Les Russes étaient supposés de montrer l'argent le 2 janvier 2015 au plus tard, la date à laquelle les intérêts ont commencé à être calculés. Bien que la Russie ne peut pas contester le verdict, le Kremlin utilisera «tous les moyens possibles pour arrêter son exécution». Si le pays ne paie pas, la Convention d'arbitrage de 1958 permet la saisie de tous les actifs russes dans 150 pays pour exécuter le verdict.

Dans l'entourage de Poutine, on ne se sentait pas concerné du tout. Une des personnes de son entourage a dit au Financial Times que le verdict était, dans le cardre des enjeux géopolitiques avec l'Ukraine, sans aucune importance: «Il y aura une guerre en Europe. Pensez-vous vraiment que ce cas semble important.?»

Le 20 septembre 2014, Mikhaïl Khodorkovski a relancé La Russie ouverte lors d'une une conférence en ligne. L'organisation vise à réunir des citoyens, vivant à l'intérieur et à l'extérieur de la Russie, qui partagent les valeurs européennes d'un État fort, dynamique et prospective fondé sur des institutions démocratiques efficaces et la primauté du droit.

En 2008, Khodorkovski entretenait depuis sa cellule une correspondance avec la célèbre écrivaine russe Lioudmila Ulitskaïa. Dans des lettres franches et révélatrices, Khodorkovski a parlé de sa vie en prison, d'où il a puisé sa force et de ce qu'était sa vie d'oligarque. Votre webmaster a traduit leurs lettres en anglais, français et néerlandais. Vous pouvez les lire suivant le lien ci-dessous.

Lioudmila Oulitskaïa et Mikhaïl Khodorkovski
Lioudmila Oulitskaïa et Mikhaïl Khodorkovski

Vers le blog de Jan F. Shibalov


Alekseï Navalny

Un autre adversaire de Vladimir Poutine, le célèbre blogueur Alexeï Anatolievitch Navalny, a également été habilement éliminé. Navalny, qui a été nommé Personnalité de l'année par le journal d'affaires russe Vedomosti en 2009, était connu pour ses blogs et ses initiatives d'émancipation civile. Un de ses stratégies, par exemple, existait en devenant actionnaire minoritaire dans plusieurs grandes entreprises d'état russes. En tant qu'actionnaire, il espérait obtenir de l'information qui lui permettrait de rendre les actifs financiers et la structure financière de ces entreprises plus transparentes. Navalny a été arrêté et condamné à plusieurs reprises pour quelques semaines de prison pour avoir participé à des manifestations.

Alexeï Anatolievitch Navalni
Alexeï Anatolievitch Navalny

Le 10 juillet 2013, quand il allait s'inscrire comme candidat pour le poste de maire de la ville de Moscou, Navalny a été arrêté sous les yeux de nombreux de spectateurs et la presse. Le 17 juillet, sa candidature a été officiellement acceptée. Le lendemain, cependant, le 18 juillet 2013, il a été condamné à cinq ans de camp de prison lors d'un procès dans la ville de Krilov. L'acte d'accusation a été encore plus absude que dans le cas de Khodorkovski et Lebedev. Selon le juge, Navalny aurait vendu 10.000 mètres cubes de bois de la compagnie de l'état KirovLes sous la valeur quand il était conseiller de Nikita Yurievitch Belych (°1975), le gouverneur de l'oblast Kirov en 2009. En faisant cela, il aurait pincé 400,000 euros. Le verdict de la cour correspondait mot pour mot à l'accusation du procureur, à l'exception de la punition. Le procureur avait demandé six ans de camp de travail.

Le soir du verdict, des milliers de personnes se sont rassemblées dans les rues de Moscou et d'autres grandes villes en Russie, en dépit de l'interdiction formelle des manifestations. Grâce à ces réunions, et peut-être aussi en raison de la pression internationale, une nouvelle surprenante sortit du bleu le lendemain: à l'initiative du procureur, Navalny a été libéré sous caution. Il est libre de nouveau en attendant la décision en appel.

Il a été suggéré que, avec la libération, le gouvernement russe a voulu offrir à Navalny une dernière chance de s'échapper. Le journaliste et militant des droits humains Alexandr Pinkhosovitch Podrabinek (°1953), co-signataire de la Déclaration de Prague, a suggéré sur le site Web de l'Institute of Modern Russia que les autorités ont manqué le moment où Navalny aurait pu être assassiné sans publicité. Le Kremlin voudrait le voir émigrer. Ils souhaiteraient qu'il essaie d'échapper à la cour en cherchant l'asile politique quelque part. Dans ce cas, il ne pourrait pas retourner en Russie sans risquer une punition.

En février 2014, Alexeï Navalny et son frère Oleg ont été poursuivis pour le détournement de fonds et blanchiment d'argent suite à une plainte déposée par Bruno Leproux, le directeur général de la filiale russe du producteur de cosmétiques et marques de beauté français Yves Rocher. Ils ont été accusés de détourner plus de 26,7 millions de roubles ou 540.000 de dollars de la filiale russe Yves Rocher Vostok entre 2008 et 2012. Malgré le fait qu'Yves Rocher France a nié qu'ils ont eu des pertes, Navalny a été mis en résidence surveillée le 28 février 2014, et interdit de communiquer avec quelqu'un d'autre que sa famille, après avoir été accusé d'avoir enfreint les restrictions de voyage.

Oleg Anatolievitch Navalni
Oleg Anatolievitch Navalny

Puis ont suivi deux événements surprenants. Tout d'abord, l'annonce du verdict avait été prévu pour le 15 janvier 2015. À cette date, les sympathisants avaient prévu des manifestations dans de nombreuses villes. Non seulement en Russie, d'ailleurs. Dans de nombreuses villes en Europe et aux États-Unis, les partisans de Navalny avaient prévu des manifestations devant les portes des magasins et des bureaux d'Yves Rocher. Mais le 29 décembre 2014, le juge a soudainement annoncé qu'elle annoncerait le verdict le lendemain, le 30 décembre 2014. La deuxième surprise a été qu'Alexeï Navalny a eu seulement 3,5 ans de prison avec sursis, alors que son frère Oleg a été condamné à 3,5 ans de prison et a été arrêté après l'annonce du verdict. L'on pourrait avoir l'impression que, en punissant le frère d'Alexeï plus fort, les autorités russes ont voulu mettre de la pression psychologique supplémentaire sur la famille des Navalny dans une autre tentative de les réduire au silence.

Mais Navalny ne se tut pas et il fut davantage harcelé. En 2018, il est devenu partiellement aveugle d'un œil après qu'un produit chimique lui a été jeté au visage.En juillet 2019, alors qu'il était en prison à la suite d'une condamnation pour incitation à manifester, il a été admis dans un hôpital de Moscou en raison d'un empoisonnement. .

Le 20 août 2020, Navalny, en route de Tomsk vers Moscou par avion, a dû être à transporté dans l'unité de soins intensifs d'un hôpital d'Omsk. L'incident a provoqué une agitation internationale et a soulevé des questions de dirigeants du gouvernement tels que la chancelière allemande Angela Merkel et le président français Emmanuel Macron. Après que l'hôpital d'Omsk n'ait initialement remarqué aucun symptôme d'empoisonnement et ait refusé de le laisser partir pour l'Allemagne pour un traitement supplémentaire, il a été transféré à Berlin le 22 août. Là, les médecins ont découvert qu'il avait été empoisonné avec du novitchok, un poison nerveux développé par l'Union soviétique à l'époque. Ce serait beaucoup plus fort que d'autres toxines nerveuses telles que le sarin et serait plus difficile à combattre avec de l'atropine. C'est une arme très meurtrière qui n'est certainement pas disponible partout et qui suscite beaucoup de suspicion auprès du gouvernement russe.

Le 17 janvier 2021, Navalny est rentré en Russie et il a été immédiatement arrêté à son arrivée. La raison officielle était qu'il aurait violé les termes de sa peine avec sursis dans le cas d'Yves Rocher. Il a été condamné à deux ans et huit mois de prison.

Deux jours après, l'Organisation anti-corruption de Navalny a publié un rapport sur un domaine que Vladimir Poutine est en train de se faire construire près de Guelendjik, au bord de la mer Noire, sur une propriété d'environ 70 kilomètres carrés. Le domaine fait 39 fois la taille de Monaco et sa construction a coûté plus de 1,5 milliard de dollars. Sa vidéo montrait des images aériennes du domaine via un drone et un plan détaillé du palais. L’une des questions que se pose Navalny est de savoir comment Poutine peut se permettre un tel palais avec un salaire annuel de 8 885 886 roubles, soit 74 641 euros par an.

Le 29 juin 2021, toute l'organisation entourant les activités de Navalny a été classée extrémiste et dissoute.

En février 2022, Navalny risquait 10 à 15 ans de prison supplémentaires lors d'un nouveau procès pour fraude et outrage au tribunal. L'accusation a allégué qu'il avait volé 4,7 millions de dollars de dons à ses organisations politiques. Il a été jugé dans une salle d'audience de fortune dans la colonie pénitentiaire IK-2 où il était emprisonné. Cependant, le 21 février, Fiodor Gorozhanko, un ancien membre de l'équipe Navalny, a refusé de témoigner contre lui. Il a déclaré qu’il ne croyait pas que Navalny ait commis des crimes. Trois jours plus tard, lors de son procès, Navalny a critiqué l’invasion russe de l’Ukraine et a demandé au tribunal d’inclure sa déclaration dans le protocole du procès. Le 22 mars 2022, la juge Margarita Nikolaïevna Kotova a prononcé une peine de 9 ans de prison. Elle avait été promue quatre jours plus tôt, mais n'a pu obtenir le nouveau poste qu'après la condamnation de Navalny.

En août 2023, Nalvalny a de nouveau été condamné, cette fois à 19 ans de prison. La décision a été rendue devant un tribunal situé à des centaines de kilomètres de Moscou afin de donner le moins de publicité possible à Navalny. Il était notamment accusé de «fondation d'un mouvement extrémiste». La peine totale que Navalny a dû purger est ainsi portée à 30 ans. Navalny a été transféré à la prison IK-6 à Melechovo, à 150 kilomètres à l'est de Moscou. Il s'agit d'un établissement hautement sécurisé où, selon un ancien détenu, des tortures et des abus sexuels ont régulièrement eu lieu en 2021.

Le 5 décembre 2023, il disparaît sans laisser de trace. Le 10 janvier 2024, il réapparaît sur les réseaux sociaux et déclare avoir été transféré à la colonie pénitentiaire IK-3 à Kharp, près du cercle polaire arctique. Le 17 février 2024, la prison a signalé qu'il était décédé ce jour-là à 14h17, heure locale.

Vladimir Boukovski

Vladimir Konstantinovitch Boukovski (1942-2019) fut l’un des premiers à rendre public le recours à l’emprisonnement psychiatrique comme mesure contre les prisonniers politiques en Union soviétique. il a passé lui-même 12 ans dans les prisons, les camps de travail et les psikhouchkas.

Boukovski a commencé à se rebeller dès son plus jeune âge. Il avait à peine 17 ans lorsqu'il fut expulsé de l'école à Moscou en 1959 pour avoir fondé et dirigé un «magazine non autorisé», mais il est peut-être mieux connu pour ses actions contre les institutions psychiatriques à l'époque soviétique.

Vladimir Boukovski
Vladimir kovski

En 1970, Boukovski était entré en contact avec le correspondant Bill Cole (1922-2006) de la chaîne de télévision américaine CBS. Sous prétexte d'un voyage en famille avec sa femme, ses enfants et quelques amis, il est allé pique-niquer dans les bois près de Moscou. Le KGB restait en retrait, les surveillant de loin. Boukovski a réussi à empêcher les policiers de le voir pendant que Bill Cole filmait une interview avec lui. Dans cette interview, il a décrit comment le gouvernement soviétique a emprisonné des dissidents politiques dans des établissements psychiatriques et les a soumis à des traitements expérimentaux avec toutes sortes de drogues. Parallèlement à l'interview, Boukovski a également réussi à faire sortir clandestinement plus de 150 pages du pays. Il a en outre documenté les abus politiques à l'égard des institutions psychiatriques en Union soviétique. L'interview a été sortie clandestinement du pays par des diplomates canadiens et diffusée par CBS sous le titre Voices from the Soviet Underground.

L’interview et les informations que Boukovski avait recueillies et envoyées à l’Occident ont fait réfléchir les militants des droits de l’homme du monde entier et en Union soviétique. Boukovski a été arrêté le 29 mars 1971 et, en janvier 1972, il a été condamné à deux ans de prison, cinq ans de camp de travail et cinq ans supplémentaires d'exil intérieur.

En décembre 1976, Boukovski a été expulsé d'Union soviétique pour être échangé à l'aéroport de Zurich contre Luis Corvalán (1916-2010), secrétaire général emprisonné du Parti communiste chilien. Boukovski s'est installé au Royaume-Uni à Cambridge, où il a poursuivi ses études de biologie, interrompues quinze ans plus tôt. Il a continué organiser et soutenir toutes sortes d'initiatives anticommunistes.

En avril 1991, Vladimir Boukovski est retourné à Moscou pour la première fois depuis son expulsion. Avant l'élection présidentielle de 1991, l'équipe de campagne de Boris Eltsine considérait Boukovski comme un candidat potentiel à la vice-présidence, mais cette idée n'a pas été mise en œuvre. En 2002, il a rencontré Boris Nemtsov à Cambridge pour discuter de la stratégie de l'opposition russe. En tant que libéraux russes, ils ont accepté d’offrir une résistance sans compromis à ce qu’ils considéraient comme le gouvernement autoritaire de Vladimir Poutine et de ses associés.

En janvier 2004, Vladimir Boukovski a cofondé le Comité 2008 avec Garry Kasparov, Boris Nemtsov, Vladimir Kara-Mourza et d'autres. Il s'agissait d'une organisation faîtière de l'opposition démocratique créée pour garantir des élections libres et équitables en 2008. Le Comité 2008 a proposé Boukovski comme candidat à ces élections. Cependant, le 22 décembre 2007, la candidature de Boukovski a été rejetée par la Commission électorale centrale.

Boukovski a été impliqué dans toutes les actions contre les activités antidémocratiques en Fédération de Russie, comme l'annexion de la Crimée en 2014, la «guerre secrète» déclenchée par la Russie la même année dans la région ukrainienne du Donbass et l'empoisonnement d'Aleksandr Litvinenko en 2006. Cependant, le gouvernement n’a pas osé le traiter comme les autres dissidents. Les sanctions à son encontre se sont limitées au rejet de sa candidature aux élections et au refus de passeports et de visas. Il est décédé le 27 octobre 2019 à l'âge de 76 ans d'une crise cardiaque à Cambridge.


Vladimir Kara-Mourza

Vladimir Vladimirovitch Kara-Mourza (°1981) est un homme politique d'opposition, journaliste, auteur et cinéaste. Protégé de Boris Nemtsov, il est devenu vice-président la Russie ouverte, une ONG fondée par l'homme d'affaires et ancien oligarque russe Mikhaïl Khodorkovski, qui vise à promouvoir la société civile et la démocratie en Russie. En 2012, il a été élu au Conseil de coordination de l’opposition russe, une alliance de dissidents de tous bords. Les membres de ce Conseil comprenaient Alekseï Navalny, l'ancien grand maître d'échecs Garry Kasparovet l'ancien vice-Premier ministre Boris Nemtsov.

Kara-Mourza est devenu journaliste à l'âge de 16 ans. Il a travaillé comme correspondant à Londres pour les journaux Novie Izvestia et Kommersant ainsi que pour la radio Echo Moskvy. Entre 2000 et 2003, il a été conseiller du chef de l'opposition Boris Nemtsov à la Douma d'État. En janvier 2004, il a cofondé le Comité 2008, un groupe d'opposition dirigé par Boris Nemtsov et Garry Kasparov. En mai 2007, Kara-Mourza a aidé le militant des droits de l'homme et écrivain Vladimir Boukovski en tant que candidat de l'opposition démocratique à la présidence russe lors des élections de 2008. En 2012, il a participé aux manifestations de rue à Moscou contre le régime de Poutine, les plus grandes manifestations pro-démocratie en Russie depuis 1991. En tant que journaliste parlant couramment l'anglais et vivant à temps partiel aux États-Unis, Kara-Moerza a joué un rôle dans les événements qui ont conduit à l'adoption de la Loi Magnitski en 2012 par le Congrès américain.

Vladimir Kara-Mourza
Vladimir Kara-Mourza

Fin 2014, il a écrit sur les nombreuses tendances antidémocratiques en Russie. Par exemple, le président Vladimir Poutine a repris la pratique soviétique consistant à retirer aux dissidents leur citoyenneté russe.

Kara-Mourza a été victime à deux tentatives d'assassinat, mais il les a survécu. Le 26 mai 2015, iles tombé subitement malade à Moscou lors d'une réunion. Les médecins avaient déterminé qu'il avait été empoisonné, mais le diagnostic a ensuite été révisé en faveur d'une insuffisance rénale. Le 2 février 2017, il a été de nouveau hospitalisé avec les mêmes symptômes qu'en 2015. Cette fois-ci, les médecins ont maintenu leur décision selon laquelle il s'agissait de l'influence toxique d'une substance inconnue, mais aucune suite n'a été prise. Il est remarquable qu’un échantillon de sang ait également été envoyé à un laboratoire du FBI américain, mais le FBI n’a jamais publié ses conclusions

Le 11 avril 2022, lors de l'invasion russe de l'Ukraine, Kara-Mourza a été arrêtée pour avoir désobéi aux ordres de la police. L'arrestation a eu lieu quelques heures après qu'il ait qualifié le gouvernement de Poutine de «régime d'assassins». Le 22 avril 2022, il a été inculpé par un tribunal russe pour avoir prétendument diffusé de fausses informations sur l'armée russe. En juillet, la «collaboration avec une ONG étrangère indésirable» a été ajoutée, et en octobre la «trahison».

En avril 2023, les procureurs russes ont requis une peine de 25 ans de prison. En outre, le parquet a également demandé que la peine soit purgée dans une colonie pénitentiaire à régime strict. Le 17 avril 2023, cette peine a été confirmée.

En juillet 2023, les quatre plus grandes juridictions dotées de programmes de sanctions de type Magnitski (les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada et l'Union européenne) ont imposé des sanctions ciblées à six ressortissants russes qui ont joué un rôle dans la détention et la condamnation de Vladimir Kara- Mourza. Il s'agit de::

Vitali Aleksandrovitch Belitsky et Yekaterina Mikhailovna Dorokhina, les juges du tribunal de Moscou qui ont condamné Kara-Mourza;

Natalia Nikolaïevna Doudar, le juge du tribunal de district de Basmanny qui a prolongé la détention provisoire de Kara-Mourza;

Boris Georgievitch Loktionov, le procureur général qui a qualifié Kara-Moerza d'«ennemi de l'État» et qui a réclamé la peine maximale;

Danila Yourievitch Mikheïev, un témoin expert du gouvernement russe qui a affirmé que les déclarations de Kara-Mourza sur les forces armées russes revenaient à diffuser de fausses informations, ce qui était en partie la base sur laquelle la juge Yelena Lenskaïa avait ordonné la détention de Kara-Mourza;

Anna Yevguénievna Potytchko, le procureur qui a soutenu le rejet de l'appel de Kara-Mourza contre sa détention provisoire.


Revenez, Mikhaïl Boulgakov

Le cas de Navalny a provoqué beaucoup de réactions, non seulement en Russie mais dans le monde entier. Le 20 juillet 2013, Denis MacShane, l'ancien ministre des Affaires européennes du Royaume-Uni, a écrit: «Where are you Mikhail Bulgakov when we need you?»


Kirill Serebrennikov

Le 22 août 2017, Kirill Semionovitch Serebrennikov (°1969), l'un des réalisateurs de cinéma et de théâtre russes les plus célèbres, a été arrêté.

Serebrennikov est le directeur du Centre Gogol, un théâtre expérimental progressif qui est populaire auprès des gens libéraux de Moscou. Il est connu pour ses productions contemporaines qui sont souvent directement liées à des thèmes politiques ou sexuels rarement représentés sur scène à Moscou.

Cependant, les charges ne mentionnent pas les points de vue politiques ou morales de Serebrennikov, mais - vous l'auriez déjà pu deviner - sur le détournement de fonds. Il s'agirait de plus de 68 millions de roubles, environ 975.000 d'euros ou 1,15 million de dollars. Serebrennikov aurait, entre autres, détourné les subventions de 2,3 million de roubles (32.999 d'euros ou 39.359 de dollars) qu'il a reçues de 2011 à 2014 pour la production du Songe d'une nuit d'été de William Shakespeare par sa compagnie Studio Sept. Le procureur général a déclaré que la pièce n'a jamais été réalisée. Une déclaration absurde, parce que depuis sa première en 2012, les représentations en Russie et à l'étranger, y compris au Théâtre National de Chaillot à Paris et au Théâtre des Martyrs à Bruxelles, ont reçu une attention considérable dans la presse - à la fois pro et contre -, et la pièce a même été nominée pour des prix de théâtre. La réponse du procureur à cette conclusion était laconique: «Le fait que l'on a publié un article ne prouve pas que l'événement a vraiment eu lieu».

Kirill Serebrennikov
La détention de Kirill Serebrennikov

Serebrennikov avait déjà connu une année 2017 difficile. En mai, il a été interrogé «comme témoin dans une affaire de fraude», après la détention du producteur Alexeï Malobrodski et la comptable Nina Masliaïeva, deux anciens collaborateurs du Studio Sept. Lors des interrogatoires, Masliaïeva aurait fourni «les preuves de l'implication de Serebrennikov».

Ensuite, les représentations d'un ballet sur le célèbre danseur Rudolf Noureïev (1938-1993), qui devaient avoir lieu en juillet au Théâtre Bolchoï, ont été annulées trois jours avant la première. Selon Vladimir Ourine, le directeur du théâtre, la mise en scène «n'était pas encore prête», mais les initiés ont signalé qu'il était mis sous pression pour supprimer le ballet parce que les relations homosexuelles de Noureïev étaient ouvertement représentées.

Le juge du tribunal du district de Basmanny - le même tribunal qui a prolongé la détention provisoire de Kara-Mourza - a décidé de mettre Serebrennikov en résidence surveillée jusqu'au 19 octobre 2017. Plus de 3 500 artistes ont signé une lettre de soutien demandant au ministère de la Culture d'abandonner les accusations portées contre le réalisateur. En vain, car en juin 2020, Serebrennikov a été condamné à une période probatoire de trois ans et à une interdiction de diriger une institution culturelle avec le soutien du gouvernement pendant trois ans. Il a également dû payer une amende de 800 000 roubles.

Le 12 novembre 2021, Serebrennikov a remboursé 129 millions de roubles réclamés par le ministère de la Culture à titre de compensation. En février 2021, il a été renvoyé du Centre Gogol.

Le 28 mars 2022, le tribunal a annulé la peine avec sursis, tenant compte du fait que tous les dommages financiers avaient été remboursés et que Serebrennikov avait reçu un profil positif au cours de son mandat. L'interdiction de voyager a été levée et Kirill a pu quitter la Russie.


Certains sont autorisés à détourner des fonds

Le 29 mars 2001 à 22h00, un homme et une femme ont été arrêtés qui avaient essayé de passer la frontière avec la Suisse à la poste de douane Bietingen, près de Gottmadingen, en Allemagne. Ils portaient un sac à main et une mallette avec des documents et des disquettes. La femme s'appelait Tamara Rouditch (°1959), et elle était une biologiste moléculaire. Le nom de l'homme était Oleg Lototski(°1962), l'ami et partenaire d'affaires de Madame Rouditch. Ils ont dit qu'ils étaient sur un voyage d'affaires à Zurich. Le poste douanier de Bietingen n'est pas sur les routes normales vers la Suisse, il ya des rarement des individus qui passent par là.

Les documents qu'ils portaient ont montré des transactions d'une valeur de 5 milliards de dollars sur six banques, dont Credit Suisse, Deutsche Bank, ABN AMRO Bank et la Banque de Chypre. Le rapport qui a été soumis par les douanes à l'Office central de lutte contre la criminalité financière de Baden-Wurtemberg, a stipulé que le signataire autorisé était Vladimir Vladimirovitch Poutine, en ce moment président de la Fédération de Russie.

Pour autant que nous savons, Vladimir Poutine n'a pas été interrogé au sujet de cet incident, et il est toujours un homme libre.


Certains ne viennent pas en justice

Beaucoup d'opposants au régime de Vladimir Poutine n'ont pas été traduits en justice, mais ont été tués dans la rue. En particulier des journalistes qui ont écrit des articles critiquant le régime, ont souvent été brutalement assassinés. Pas moins de 144 journalistes ont été tués entre 1999, l'année où Poutine a entamé sa première présidence, et 2014. L'une d'eux était Anna Politkovskaïa, sur laquelle vous pouvez lire plus en cliquant le lien ci-dessous.

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