Réapparition du maître

Le titre du chapitre

Quand on traduit littéralement le titre original de ce chapitre, on arrive à une phrase qui paraît un peu étrange. En effet, Извлечение мастера (Izvletchenie mastera) se traduit comme l'extraction du maître. Le maître est «extrait» de l'asile de fous, des prises de la police secrète et finalement même de sa vie à Moscou. Le verbe извлечь (izvletch) ou extraire est normalement utilisé pour indiquer, par exemple, le traînement des échardes, l'extraction de minéraux ou la dérivation de racines carrées.

Noblesse oblige

Dans le texte russe, Boulgakov a écrit Ноблесс оближ [Nobless oblij], il a donc littéralement transcrit l'expression noblesse oblige, qui signifie que l'on doit agir d'une manière qui est conforme à sa position, et avec la réputation que l'on a gagnée.

dans un verre à bordeaux

Noblesse oblige, Boulgakov n'a pas décrit un verre ordinaire. Il a écrit que Béhémoth «versa un liquide transparent» dans un лафитный стакан [lafitni stakan] ou un verre Lafite. C'est un verre d’une contenance de 125-150 ml avec une forme conique et un fond épais, souvent en verre foncé ou en métal. Le mot лафитный [lafitni] est la translittération russe de Lafite, se référant au célèbre domaine viticole français Château Lafite, situé dans le village viticole de Pauillac dans le Médoc. Comme le Lafite est un vin de Bordeaux, l'on pourrait penser que la traduction française est correcte, mais ce n'est pas le cas, parce qu'un verre à Bordeaux a une contenance de 480 ml.

Le liquide transparent n'était pas de la vodka, par ailleurs, c'était de «l’alcool pur».

Il avait erré pendant dix-neuf jours dans un désert

Dix-neuf jours est une distorsion assez comique des exemples célèbres. En général une telle période d'errance est définie par un chiffre rond – quarante jours, par exemple, ou quarante ans. Et la nourriture est en général la manne ou les sauterelles et le miel sauvage, et non pas la viande d'un tigre.

La viande d'un tigre

L'histoire de Béhémoth fait allusion à un incident dans la Bible quand Jésus est conduit au désert par l'Esprit «pour être tenté par le démon» (Matthieu 4:1-11). Il a jeûné pendant quarante jours et quarante nuits et devient affamé. Ensuite Satan lui dit: «Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains». Mais Jésus refuse de démontrer ses pouvoirs. Satan montre à Jésus tous les royaumes du monde et lui promet qu'ils seront à lui «si tu te prosternes pour m'adorer». Jésus refuse encore et Satan le quitte.

Jésus et le diable dans le désertt
Jésus et le diable dans le désert

L’histoire nous jugera

Cette expression fait, évidemment, ironiquement allusion à l'histoire racontée par Béhémoth, mais dans le contexte soviétique et le contexte de ce roman, c'est plus marquant.

Les idéologues soviétiques officiels ont réécrit l'histoire régulièrement. Il y avait même une plaisanterie disant que  «à l'Ouest il est dur de prédire l'avenir, mais en Russie il est encore plus dur de prédire le passé». Le rêve des dissidents était capturé dans l'idée que l'histoire aurait le dernier mot et serait de leur côté. Le roman lui-même est une variante des faits historiques qui fait souvent penser à l’importance de la fiabilité des sources.

En italien cette phrase se traduit comme «Ai posteri l'ardua sentenza». C'est un vers du poème Il cinque maggio ou Le cinq mai du poète italien Alessandro Manzoni (1785-1873). Le 5 mai 1821 est la date de la mort de Napoléon Bonaparte (1769-1821).

Les manuscrits ne brûlent pas

Рукописи не горят (Roukopisi ne goriat) ou «Les manuscrits ne brûlent pas». Cette expression est devenue très populaire en Union soviétique quand Le Maître et Marguerite a été publié pour la première fois. Elle a surtout été utilisée en référence aux auteurs dont l'œuvre était considérée dangereuse par le gouvernement.

Beaucoup de ces auteurs n'ont jamais vraiment «écrit» leurs histoires ou poèmes. Ils les apprenaient par cœur pour que la police secrète ne trouve pas de copies d'écritures. Cette méthode a aidé à préserver leurs histoires pendant des années. Par conséquent, «les manuscrits ne brûlent pas» parce que peu importe ce qui arrive à la copie écrite de l'œuvre, il existera toujours dans l'esprit de son auteur.

Cette scène aurait pu être inspirée par Le Diable au XIXème siècle, une œuvre anti-maçonique, publiée en 1895 par Marie Joseph Gabriel Antoine Jogand-Pagès (1854-1907), mieux connu comme Léo Taxil, qui a utilisé le pseudonyme Docteur Bataille. Taxil a écrit qu'Albert Pike (1809-1891), le Grand Maître du Rite écossais ancien et accepté à Charleston, a reçu directement du diable les instructions pour réécrire la charte de la loge. Selon Taxil, Pike a reçu le texte directement de Lucifer pendant qu'une odeur âcre du soufre était diffusée.

Léo Taxil
Léo Taxil

Dans son article La Franc-maçonnerie moderne dans sa relation avec l'église et l'état, qui a été publié dans Les Actes de l'Académie théologique de Kyïv en 1903, Afanasi Ivanovitch Boulgakov (1859-1907), le père de Mikhaïl Afanasievitch, a fait référence à Léo Taxil et Le Diable au XIXème siècle.

Vous pouvez lire plus sur la franc-maçonnerie dans la section Contexte de notre site web en cliquant la flèche ci-dessous.

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Même la nuit, au clair de lune, je ne trouve pas la paix

Le maître, le héros du roman, cite son propre héros Pilate ici, et répète son geste: «s’adressant à la lune lointaine, il gémit en frissonnant». C'est une des clés de la similarité entre les deux «héros». Aucun des deux n'est «héroïque» dans le sens traditionnel et tous les deux se considèrent comme des lâches.

Un citoyen en linge de corps et une valise à la main

Dans la période de Staline beaucoup de personnes en Union soviétique avaient une valise de vêtements chauds prête sous leur lit dans le cas où l'on frapperait à leur porte.

Aloisius Mogarytch

Quand vous lisez Le Maître et Marguerite en français, en anglais ou en néerlandais, vous ne rencontrez Mogarytch que dans ce chapitre-ci. Dans la version russe pourtant, le maître le mentionne déjà quand il parle à Ivan à l'hôpital du docteur Stravinski dans le Chapitre 13. Vous pouvez en lire plus sur la page sur Aloisi Mogarytch.

Cette scène est l'une des fins inachevées du Maître et Marguerite. Comme Boulgakov est décédé avant d'avoir pu terminer la rédaction finale du texte, le roman connaît quelques imperfections. Les réécritures, les abréviations et les extensions fréquentes du roman ont causé quelques fins inachevées et même quelques contradictions dans le texte.

Votre webmaster a traduit cette fin desserrée en anglais, et vous pouvez la télécharger depuis la section Archives de notre site web en cliquant la flèche ci-dessous.

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Sur la vidéo ci-dessous, vous pouvez regarder le rencontre du maître et Aloisy Mogarytch comme il a été filmé par Vladimir Bortko dans sa série télévisée Master i Margarita en 2005.

 

Aucun chat n’ait jamais trinqué avec personne

Dans le texte original du roman Boulgakov a utilisé le mot allemand bruderschaft qui est phonétiquement translittéré en russe comme брудершафт [brouderschaft]. Bégémoth dit donc: «Aucun chat n'a jamais bu bruderschaft avec personne».

Le mot brouderschaft est utilisé pour indiquer qu’il ne s’agit pas ici d’une simple confrérie, mais du toast typique allemand. Deux personnes boivent avec les bras droits entrecroisés, et après ils deviennent amis et se tutoient.

Bruderschaft
Bruderschaft

Plus de papiers, plus d’homme

Pendant la période soviétique il était, même plus qu'aujourd'hui, important pour les citoyens d'avoir leurs documents bien en ordre pour ne pas avoir de problèmes. Les documents typiques contenaient le lieu de résidence, la nationalité et l'occupation professionnelle. Les sceaux, les dates et la langue officielle étaient essentiels, comme le montre le certificat de Nikolaï Ivanovitch. Ne pas avoir de documents pouvait causer des problèmes avec la police. Les documents étaient littéralement une question de vie et de mort dans la période soviétique.

Depuis l'effondrement de l'Union soviétique, la question des passeports continue à causer des discussions et quelquefois des ennuis avec la police dans les rues, ou encore de longues procédures quand vous avez besoin des certificats russes pour l'utilisation à l'étranger.

Certains documents qui, en Belgique, sont tenus par les autorités locales dans l'hôtel de ville et dont une copie est remise immédiatement et sur simple demande – comme le certificat de naissance, par exemple – vous devez conserver vous-même en Russie. Pour d'autres documents – comme la preuve de nationalité, le certificat de résidence ou la composition familiale – les Russes utilisent le passeport intérieur, qui est toujours un document contenant beaucoup plus de renseignements que les passeports dans d'autres pays.

Au palier du dessus, une porte claqua

Cette phrase montre que la rédaction finale Le Maître et Marguerite n'a pas pu se faire. «Un homme en caleçon, coiffé d’une casquette et une valise à la main (Mogarytch) dévala l’escalier et atterrit sur Annouchka, qui alla donner de la tête contre le mur». Mais quelques pages plus tôt il était décrit que Mogarytch fut «soulevé, renversé les pieds en l’air, et emporté par la fenêtre ouverte» par Azazello. Il ne peut donc pas avoir claqué la porte au palier du dessus et avoir rencontré ensuite par hasard Annouchka dans les escaliers.

La voiture noire, elle aussi, avait quitté la cour

Voici encore un autre exemple du manque d'une rédaction finale. Nous lisons que «la voiture noire, elle aussi, avait quitté la cour», mais immédiatement après cela Boulgakov raconte comment Azazello a dit au revoir à Marguerite – dans la voiture – et lui a demandé si elle était bien installée. Boulgakov a probablement ajouté ce dernier fragment de texte dans une version ultérieure, sans avoir effacé ce qui précède.

Annouchka

Nous connaissons déjà Annouchka depuis le chapitre 3. Elle avait renversé l'huile de tournesol sur laquelle Berlioz a glissé.

Annouchka est l'un des seuls personnages qui gardent leur nom réel dans le roman de Boulgakov. La première femme de Boulgakov se souvenait d'Annouchka Goriatcheva, qui a vécu à travers du corridor dans l'appartement n° 50. L'appartement était une sorte de dortoir de classe ouvrière avec sept pièces le long d'un corridor central. Annouchka avait un fils qu'elle battait souvent. Ils avaient l'habitude d'acheter de la vodka faite à la maison, de se soûler, de se battre et de faire du bruit.

Dans une version antérieure du roman, elle s’appelait Pelageïouchka, dans une autre elle s’appelait Annouchka Basina. Elle apparait également dans N° 13 – La maison de la commune ouvrière Elpit, une histoire de 1922, et dans Le Roman théâtral, un roman de 1937.

Boulgakov fut gravement irrité par Annouchka Goriatcheva, comme l'on peut en conclure d’après ce qu'il a écrit dans son journal le 29 octobre 1923: «Le premier jour de chauffage a été marqué par le fait que la fameuse Annouchka a laissé la fenêtre de la cuisine grande ouverte pendant toute la nuit. Je ne sais résolument pas quoi faire avec la canaille qui habite cet appartement».

Annouchka Goriatcheva
Annouchka Goriatcheva


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