La schizophrénie, comme il a été dit

Salut, saboteur!

Ici et un peu plus loin, Ivan utilise des termes typiques des campagnes de propagande soviétiques contre les ennemis du peuple. Quelqu'un soupçonné d'agir contre les objectifs du parti dirigeant pouvait être dénoncé et arrêté comme un saboteur.

Au fait, Ivan dit «Здорово, вредитель» [Zodorovo, vreditel], ou «Salut, vermine». Mais la traduction est correcte dans son sens, parce que le régime avait de nombreux synonymes pour définir des saboteurs et вредитель [vreditel] ou vermine est un d'entre eux. Ce terme était surtout utilisé pour indiquer quelqu'un qui agissait contre le régime de l'intérieur en sabotant des machines ou en affaiblissant la planification de production.

Cette nullité Sachka

Ce reproche d'Ivan Biezdomny à Rioukhine est basé sur l'animosité entre leurs prototypes, les poètes Aleksandre Illitch Biezymenski (1898-1973) et Vladimir Vladimirovitch Maïakovski (1893-1930), qui ne s'entendaient pas. Dans un premier temps, Maïakovski était l'idole de Bezymenski, mais le sentiment n’était pas réciproque. Maïakovski a comparé l'œuvre de Biezymenski à du «café fait de carottes». Avec «carottes», il veut dire chicorée, il le compare donc à un succédané de café.

Un koulak typique

Кулак [koulak] est le mot russe pour poing, mais c'était également le nom donné aux paysans riches ou aisés en Union soviétique. Staline a ordonné leur liquidation en 1930.

Après l'abolition du servage en 1861 une minorité de fermiers dans l'Empire russe avaient réussi à devenir une classe rurale prospère et indépendante. Le pouvoir et l'influence de ces koulaks dans les villages a été anéantis par les communistes. Les fermiers de taille moyenne, les serednjaki, étaient forcés de rejoindre les kolkhozes ou fermes collectives.

Les vers tonitruants qu’il a composés pour le 1er mai

Dans le texte russe Boulgakov n'a pas dit que les vers de Riukhin étaient pour le 1er mai. Il a écrit: «Сличите с теми звучными стихами, который он сочинил к первому числу!» [Slitchitie s temi zvoutchnymi stikhami, kotory on sotchinil k pervomou tchislou!] ou «comparez-y les vers tonitruants qu’il a composés pour le premier!»Boulgakov n'a donc pas spécifié de quel «premier» il s'agit, ce qui a fait penser aux traducteurs anglais Diana Burgin et Katherine Tiernan O'Connor que les vers de Rioukhkine étaient faits pour le Nouvel An.

Mais il s'agissait des vers pour le 1er mai, et plus particulièrement le 1er mai 1924. En effet, Biezdomny fait allusion au poème Jubilé, écrit par Vladimir Vladimirovitsch Maïakovski (1893-1930) pour la célébration du 125ème anniversaire de la naissance d'Aleksandre Serguïevitsch Pouchkine (1799-1837). Ce poème était assez retentissant, comme vous pouvez juger vous-même:

«Александр Сергеевич, разрешите представиться. Маяковский.»
«Aleksandr Sergueïevitch, permettez-moi de me présenter. Maïakovski.»

Aujourd'hui, nous connaissons le 1er mai comme le Jour international du travail célébré mondialement. La date du 1er mai n'a pas été choisie par hasard mais, contrairement à ce que beaucoup pensent, l'origine de cette date ne se situe pas dans le mouvement socialiste, mais dans les premières années du capitalisme aux États-Unis, et plus précisément à New York et à Chicago. À cette époque, le 1er mai était le jour où tous les contrats de logement existants à New York devaient être renouvelés.

La journée était connue sous le nom de Moving Day. Les propriétaires devaient informer leurs locataires des augmentations de loyer avant le 1er février, qui prenaient effet trois mois plus tard à 9 h. Les locataires attendaient jusqu'au 1er mai pour déménager, et les rues de New York étaient remplies de «moving vans». Les mentions du 1er mai comme jour du déménagement à Chicago peuvent être trouvées dès les années 1840. À la fin du XIXème siècle, jusqu'à un tiers des ménages de Chicago déménageaient chaque année.

Le 1er mai était également le jour où les entreprises américaines finissaient généralement leur comptabilité de l'année et où les contrats de travail étaient renouvelés. Le 1er mai 1886, les grévistes et manifestants syndicaux de Chicago ont organisé une marche pour exiger une journée de travail de huit heures. Plus de 400 000 travailleurs se sont mis en grève et la manifestation est devenue violente et mortelle après des affrontements avec la police.

Trois jours plus tard, lors du Massacre de Haymarket Square, une bombe a explosé et des dizaines de personnes sont mortes. Trois ans plus tard, le 21 juillet 1889, lors du premier congrès de la Deuxième Internationale à Paris, le mouvement socialiste en Europe décida de célébrer le 1er mai comme la fête du Travail. L'objectif était de répondre aux demandes croissantes d'une journée de travail de huit heures dans le monde. Le 1er mai 1890, les premières célébrations sont organisées dans de nombreux pays.

Moving Day à New York
Moving Day à New York

Flottez drapeaux, déployez-vous!

Dans ce passage, Biezdomny veut clairement dénoncer un style ampoulé de propagande utilisé par Rioukhine dans ses poèmes. Pour illustrer cela, le texte «Flottez drapeaux, déployez-vous!» est intéressant, mais il s'agit quand-même d'une traduction assez «libre» de ce que Boulgakov a réellement écrit. Dans le texte original russe du roman, nous lisons: «Взвейтесь! да развейтесь!» [Vzveïtes! da razveïtes!], ce qui signifie «Levez-vous! Oui, dispersez!». Ces mots se réfèrent à Взвейтесь кострами [Vsveïtes kostrami] ou Posez les feux de joie, la première chanson du Mouvement des pionniers écrite en Union soviétique.

Lors d'une réunion du Comité central du Komsomol en mai 1922, Nadejda Konstantinovna Kroupskaïa (1869-1939), l'épouse de Vladimir Ilitch Lénine (1870-1924), avait suggéré l'idée de créer des chansons pour les pionniers. On avait demandé au poète Aleksandr Alekseïevitch Jarov (1904-1984) d’écrire une chanson – une marche – en deux semaines. Dans ses mémoires, Jarov a écrit que, en raison de la pression du temps, l'auteur Dmitri Andreïevitch Fourmanov (1891-1926) lui avait conseillé de partir de quelque chose d'existant. Le groupe est allé au theâtre Bolchoï de Moscou pour regarder l'opéra Faust de Charles Gounod (1818-1893), et Jarov a décidé de prendre le Chœur des soldats de cet opéra comme base pour écrire ses paroles. Sergueï Fiodorovitch Kaïdan-Diochkine (1901-1972), un étudiant de l'école de musique, a «adapté le mars de Gounod aux clairons des Pioneers», et «la première chanson des pionniers était née».

Vous pouvez écouter Posez les feux de joie ici:


Un corridor faiblement éclairé par des veilleuses bleues

Encore une fois, nous voyons une référence à la franc-maçonnerie. Lors de l'initiation rituelle d'Apprenti, le candidat est amené dans la «chambre de réflexion», une espace assez sombre, habituellement dans le sous-sol du bâtiment du temple.

L'intérêt de Boulgakov pour la franc-maçonnerie pourrait être expliqué par le fait que, en 1903, Afanasi Ivanovitch Boulgakov (1859-1907), théologien et historien de l'Église, et le père de Mikhaïl Afanasievitch, avait écrit un article sur La franc-maçonnerie moderne dans sa relation avec l'église et l'état, qui a été publié dans Les actes de l'Académie théologique de Kyïv. Boulgakov fait référence à la franc-maçonnerie à plusieurs endroits dans le roman.

Vous pouvez lire plus sur la franc-maçonnerie dans Le maître et Marguerite dans la section Contexte du présent site web en cliquant le lien ci-dessous.

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Un homme métallique

L'homme métallique qui «se tenait debout, la tête légèrement inclinée, et contemplait le boulevard avec indifférence» est une description de la grande statue d'Aleksandr Sergeïevitch Pouchkine (1799-1837). La «grande statue», parce qu'il y a plusieurs statues de Pouchkine à Moscou. L'homme métallique en question se situe sur la place Pouchkine, regardant sur la rue Tverskaïa, la rue commerciale la plus importante à Moscou.

L'homme métallique, la tête légèrement inclinée
L'homme métallique, la tête légèrement inclinée

Vous pouvez lire plus sur Alexandre Sergeïevitch Pouchkine dans la section Contexte du présent site web en cliquant le lien ci-dessous.

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Sombre soir où la tempête

C'est le premier vers de Soir d'hiver (1825), probablement le poème le plus célèbre d'Aleksandr Sergueïevitch Pouchkine (1799-1837).

Une coupe de champagne

Dans le texte russe Boulgakov spécifie qu'au centre de la terrasse se trémousse un conférencier connu «с бокалом Абрау в руке» [s bokalom Abrau v roukie] ou «un verre d'Abrau dans la main». Abrau-Durso est une ville dans la région Novorossiisk en Russie, où, depuis 1870, le champagne et les vins sont produits. Les vignes sont situées sur la côte de la Mer Noire.

C'était le prince Lev Sergeïevitch Golitsyne (1845-1916) qui a rapporté en Russie la recette du champagne, découverte 200 ans plus tôt par le moine champenois Dom Pierre Pérignon (1638-1715). Il a lancé la production à Abrau Durso.

Le 2 juillet 2021, le président russe Vladimir Vladimirovitch Poutine (°1952) a détourné sans vergogne le nom champagne avec une curieuse loi. Malgré la protection internationale par brevet, seul le vin produit en Russie peut désormais porter le nom шампанское (champanskoïe] ou champagne. Les vins d'origine étrangère, y compris le véritable champagne français, ne peuvent porter que le nom игристое вино [gristoïe vino] ou vin mousseux.

Le traducteur français Claude Ligny semble avoir été très clairvoyant à cet égard. Il traduisit les mots de Boulgakov с бокалом «Абрау» в руке [s bokalom «Abrau» v roukie] ou «un verre d'«Abrau» à la main» comme «une coupe de champagne à la main».

Une bouteille d'Abrau-Durso
Une bouteille d'Abrau-Durso


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