Mikhail Bulgakov. The Life and Times

17 octobre 2020

Ce qui s'est passé avant

Quand j’habitais à Moscou, j’ai rencontré Marietta Tchoudakova (1937-2021), experte de Boulgakov à quatre reprises. Lors de ma deuxième rencontre avec elle en juin 2007, elle m'a remis un exemplaire signé de son livre Жизнеописание Михаила Булгакова [Jizneopisanie Mikhaila Boulgakova] ou «L'histoire de la vie de Mikhaïl Boulgakov». «J’ai écrit cela il y a vingt ans, et tous ceux qui écrivent un livre sur Boulgakov le mentionnent dans leur bibliographie, mais il n’a jamais été traduit», disait-elle, «Ne serait-ce pas une idée pour vous? Elle espérait voir une traduction en anglais, mais à cette époque, je n’aurais même pas osé faire une traduction dans ma langue maternelle (le néerlandais), je n’ai donc pas pu répondre positivement.

Près de dix ans plus tard, le 17 décembre 2016, j'avais reçu un communiqué de presse annonçant que, le 29 janvier 2017, la maison d'édition Glagoslav Publications publierait une traduction anglaise de la biographie de Marietta Tchoudakova sous le titre «Mikhail Bulgakov: The Life and Times». Après presque trente ans, son rêve allait devenir réalité. Les personnes intéressées étaient invitées à payer 19,10 € pour une précommande, qui serait expédiée «en janvier 2017».

J'ai immédiatement réservé (et payé) ce livre, mais rien n'est arrivé en janvier. Et pas en février non plus. Le 19 mars 2017, j'ai reçu un message de Glagoslav Publications promettant qu'il serait expédié «au mois de mai 2017». Le 5 mai 2017, il a été confirmé que tout seraient en ordre pour le 8 mai 2017. Mais en mai 2017… Eh bien, vous l'aurez deviné : au total, la date de sortie de «Mikhail Bulgakov: The Life and Times» serait reportée 14 fois dansles deux ans et demi après. Lors du dixième report en mai 2019, le prix de la précommande a été porté à 24,50 €. Résultat final : je n'ai jamais reçu ma commande.

Il y a deux semaines, je suis retourné sur le site des éditions Glagoslav et j'ai soudain vu que le livre était disponible - la date de publication mentionnée étant le 30 juillet 2019. Un peu étrange, car le 27 août 2019, ils avaient encore annoncé que le livre serait publié le 31 août 2019. Normalement, j'aurais dû insister à nouveau auprès de Glagoslav, mais j'étais tellement curieux de lire ce livre que j'ai téléchargé la version électronique. Sur le site de bol.com. Les éditions Glagoslav ont donc dû renoncer à une commission de distribution. Voilà, ma petite revanche.

Mais parlons maintenant du livre.

Quand l'on prend ce livre en main on est probablement vite charmé par son style d’écriture relativement fluide – un style qui ne correspond pas du tout à celui de l’archiviste et philologue Marietta Tchoudakova. En soi, cela ne devrait pas poser de gros problèmes et, en fait, ce serait une bonne chose si quelqu'un parvenait à transmettre les connaissances approfondies de Tchoudakova dans une langue facilement accessible aux nombreux passionnés de Boulgakov, qui ne sont certainement pas tous linguistes. Après tout, en tant que philologue de son époque et de son environnement, Tchoudakova utilise de longues phrases avec de nombreuses propositions subordonnées, et son texte original contient un nombre incalculable de points-virgules et de déclarations entre parenthèses, souvent au milieu d'une phrase. Quelqu'un qui peut simplifier cela mérite certainement des éloges. Mais cela devient problématique lorsque le contenu est sacrifié au nom de la lisibilité, car si l'on regarde un peu plus loin, et surtout si l'on compare ce livre avec l'original, L'histoire de vie de Mikhaïl Boulgakov de Marietta Tchoudakova, on arrive à une étrange conclusions.

Première conclusion: Mikhail Bulgakov (The Life and Times)n’est pas une traduction du livre de Marietta Tchoudakova. Il s'agit d'un livre écrit par le traducteur Huw Davies, basé sur le livre écrit par Tchoudakova.

Pour commencer, Davies n’a pas traduit le livre de Tchoudakova dans son entièreté, il a simplement laissé tomber, à de nombreuses reprises, des phrases, des paragraphes, parfois même des pages entières consécutives. Au total, il n'a pas traduit l'équivalent de 94 pages, soit 13 % du texte.

Pourquoi? Eh bien, si l'on regarde de plus près les parties omises, il s'avère qu'il s'agit de segments de texte qui ont un contenu quelque peu «difficile» qui n'est pas, en tant que tel, mentionné dans un dictionnaire russe-anglais, ou qui est introuvable avec quelques simples commandes de recherche Google. Un exemple: Tcoudakova écrit qu'Ossip Mandelstam avait prêté «le serment de la quatrième classe». Apparemment, Davies n'a trouvé nulle part la signification du terme «quatrième classe» et a donc supprimé la phrase entière. «Se pourrait-il», pensa le petit diable en moi, «que la cause de cela réside dans le fait qu'il n'y a pas de page en anglais dans Wikipédia pour l'entrée 'Sociélé de classes'?» Et en effet, cette page n'existe pas en version anglaise dans Wikipédia. Mais elle existe bien en français pour cette entrée, et là, le concept de la «quatrième classe» – le prolétariat – est clairement expliqué.

Bon, on pourrait dire que ça va encore; On a peut-être pas besoin de saoir tout ce que Tchoudakva a écrit. C'est vrai, «ce que l'on ne sait pas n'a pas d'importance», pourvu que le reste soit correct. Mais cela ne s’applique pas non plus ici. Lorsque Davies ose traduire une partie du texte plus difficile – voire parfois facile –, il rate plus d’une fois le coup. Par exemple, Tchoudakva écrit que Boulgakov est allé se promener avec sa femme, mais selon Davies, il l'a fait avec sa sœur. Et lorsque Tchoudakva écrit que Boulgakov et sa femme sont allés au Théâtre d'Art pour remettre un document au coursier, selon Davies, il a remis le document à la femme du coursier. Et il appelle le metteur en scène américain Halsted Welles (qui avait mis en scène Les Jours des Tourbine à New York en 1934), «un homme nommé Wales», et plus tard simplement «le metteur en scène Vels».

Peut-être trivial, et peut-être pas vraiment gênant si vous ne vous souciez pas de ces détails, mais il y a des dizaines de telles «inexactitudes» dans ce livre. Il y a, par exemple, une caractéristique qui frappe et qui conduit à une désinformation pure et simple à plusieurs reprises, et qui a pour effet d'induire en erreur plus d'une fois le lecteur qui souhaite utiliser ce livre pour aider à comprendre la personnalité de Boulgakov. Le traducteur Davies a du mal à remarquer le mot «non» dans l’œuvre deTchoudakova : un petit mot d’à peine trois lettres, mais si vous ne le voyez pas, le lecteur peut être vraiment confus. Par exemple, Tchoudakova écrit : «Et quel bonheur de ne plus prendre le tramway!», mais le traducteur n'est apparemment pas d'accord, car il écrit que Boulgakov pensait : «Et quel bonheur de pouvoir prendre le tramway!». C'est un peu gênant, car immédiatement après, cette phrase est suivie par un paragraphe entier avec une description colorée de l'aversion bien connue de Boulgakov pour les tramways. Boulgakov n’était donc «pas» content de cela, Monsieur Davies. Il détestait les tramways et les dénonçait souvent dans plusieurs de ses œuvres. A un autre endroit, il fait le contraire, ajoutant le mot «pas» là où Tchoudakova ne l'avait pas écrit. Tchoudakova écrit que Boulgakov souffrait souvent de sa makadie: «Pendant sa maladie, il souffrait beaucoup, il perdait connaissance», mais le traducteur change cela avec désinvolture: «Pendant sa maladie, il ne souffrait pas de douleurs intenses ni de perte de mémoire». C’est une observation encore plus gênante, surtout quand l'on sait que Boulgakov souffrait gravement de néphrosclérose, la maladie dont son père était décédé relativement jeune et dont, en tant que médecin, il savait bien qu’elle lui arriverait également.

Davies a clairement un problème avec le mot «non», d’une manière ou d’une autre. Et dans sa traduction, cela n’arrive pas une fois, ni deux fois, mais une vingtaine de fois au total, dans un contexte où c’est crucial.

Enfin, encore un commentaire sur cette traduction : à un endroit de son livre, Davies ne supprime pas un morceau de texte, mais il en ajoute un, peut-être bien intentionné, pour mieux informer le lecteur – ce qui n'est pas une mauvaise idée en soi, c'est-à-dire que à condition que les informations supplémentaires soient correctes. Quod non.

Dans le chapitre 5 de son livre, Tcohudakova décrit comment Boulgakov et son épouse Yelena Sergueïevna ont tenté à un moment donné de découvrir lequel des visiteurs réguliers de leur nouvel appartement pourrait être un espion de la police secrète du NKVD. Elle décrit cela, tout comme Boulgakov dans Le Maître et Marguerite, en termes voilés, sans citer de noms; cependant, elle ajoute un certain nombre d'indices sur cette personne à plusieurs endroits de son livre, notamment en faisant dire par Boulgakov que l'informateur venait souvent chez eux sans y être invité et qu'il était diplômé de l'Université d'Oxford. Davies a peut-être cru pouvoir donner un coup de main au lecteur en insérant, de sa propre initiative, le nom du baron Boris Steiger, entre parenthèses, dans le texte de Tchoudakova. Il n’y a qu’un seul inconvénient: ce n’était pas Steiger que Boulgakov et sa femme avaient en tête. Après tout, Steiger n'a jamais visité la maison des Boulgakov et il n'avait qu'un diplôme d'études secondaires. Davies aurait pu éviter cette erreur avec une simple recherche sur Google, car là il aurait rapidement découvert qu'il s'agissait d'Emmanuel Joukhovitski, un «ami» qui visitait régulièrement l'appartement et qui venait souvent sans y être invité (au grand dam de Yelena Sergueïevna) et qui était le seule personne dans leur cercle de connaissances à avoir... un diplôme d'Oxford.

Le traducteur aurait pu éviter bon nombre de ces erreurs ou fautes en s'étant mieux préparé à sa mission - par exemple, en lisant d'abord le journal de Yelena Sergueïevna ou la correspondance de Mikhaïl Boulgakov. Beaucoup de choses auraient été nettement plus claires pour lui, et il aurait certainement perdu moins de temps en recherches ou en suppositions. Il n’avait même pas besoin de lire ce journal ou cette correspondance dans une langue étrangère (le russe), car les parties les plus importantes avaient déjà été traduites en anglais en 2012 par le professeur J.A.E. Curtis de l'Université d'Oxford, et publié dans son livre acclamé Les manuscrits ne brûlent pas. Mais peut-être était-il soumis à une forte pression de temps. Après tout, ses lecteurs potentiels devaient faire preuve d'une grande patience pour lire son livre quatre ans après avoir payé l'avance. Ce qui est également étrange: le professeur J.A.E. Curtis a écrit l'avant-propos de cette «traduction». Mais je me demande si elle a vraiment pu lire elle-même la traduction à l'avance, car en tant qu'experte de l'œuvre de Boulgakov, elle aurait certainement dû remarquer les erreurs et les fautes.

En résumé: Huw Davies a livré une biographie assez facile à lire de Boulgakov qui est basé sur le livre de Marietta Tchoudakova, quoiqu'elle soit incomplète et incorrecte à plusieurs endroits et trop souvent.

 

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