L'internet russe, va-t-il mourir à un jeune âge?
10 mai 2014
Quand j’habitais à Moscou, The Moscow Times était une de mes sources d'information préférées. Souvent, j’ai pu étonner mes amis russes avec des nouvelles sur la Russie qu'ils ne pourraient jamais trouver dans les médias contrôlés par l'Etat. Récemment, le magazine a publié un article de Victor Davidoff. Si c’est vrai ce qu'il écrit, le site Master & Margarita risque de ne plus être accessible sur les ordinateurs russes à partir du 1er août 2014.
S'il y avait eu l'Internet quand George Orwell a écrit son roman 1984, l'auteur aurait pu inventer une loi comme celle qui a été adoptée par la Douma la semaine dernière.
La loi limite le contenu de tous les blogs, y compris ceux sur les réseaux sociaux, et détermine les conditions particulières pour les blogueurs dont le nombre de «lecteurs quotidiens» s’élève à plus de 3000. Dans la meilleure tradition de novlangue, la loi ne précise pas comment le nombre de lecteurs quotidiens sera déterminé, et personne ne sait comment cela pourrait être fait - en particulier sur les réseaux sociaux, où le nombre de visiteurs par page n'est pas publique.
Mais le gouvernement a résolu cette question de manière facile. Les fournisseurs d'accès Internet et les propriétaires de réseaux sociaux devront fournir ces informations aux autorités pour que les blogueurs seront inscrits dans un registre spécial qui contiendra des informations détaillées, telles que leurs numéros de téléphone et leurs adresses.
Cette loi met les blogueurs dans une situation Catch-22 . D'une part, ils ont toutes les responsabilités d'une organisation de médias. D'autre part, la loi leur interdit expressément d’être enrégistrés comme organisation de médias. Un journaliste a le droit de demander officiellement des renseignements pour vérifier les faits mais les blogueurs n'ont pas ce droit. Pourtant, les blogueurs devront, selon la nouvelle loi, de toute façon «vérifier les faits publiés sur leurs blogs».
Dans le passé, des blogueurs anti-corruption comme Alexeï Navalny ont pu publier des informations sur l’immobilier de luxe non-enregistré dans les mains des représentants du gouvernement russe aux Etats-Unis et en Europe. Mais ce ne sera plus possible, parce que la nouvelle loi interdit la publication de «renseignements sur le lieu de résidence et la vie personnelle et familiale des citoyens».
Ce n'est pas tout ce qui sera interdit. La longue liste des interdiictions comprend «la publication d'informations, destinée à diffamer des catégories spécifiques de citoyens» sur base de caractéristiques telles que «leur attitude envers la religion, leur profession ou leurs opinions politiques», ainsi que la publication de «documents extrémistes».
Pour traduire la novlangue , vous devez savoir comment la notion «extrémisme» est entendu par les tribunaux russes. Le blogueur Boris Stomakhine a récemment été condamné à un emprisonnement de 6 1/2 ans pour «justification du terrorisme». Si vous pensez que c'était un blog dans lequel Oussama ben Laden a été loué, alors vous vous trompez. Il s’agissait d’un blog sur l'acte terroriste qui a tué le tsar Alexandre II en 1881.
En vrais style orwellien, les blogueurs ne seront pas seulement tenu responsable de l'information dans leurs messages, mais aussi de l'information dans les commentaires des autres utilisateurs.
Cette loi place la Russie immédiatement à la première place au niveau de la censure sur l’Internet. Même la Chine, qui était le numéro un dans cette catégorie, sera loin derrière. Les dirigeants chinois ont une relation complexe avec le World Wide Web, mais ils on quand-même compris qu'il s'agit d'un facteur important dans le développement économique du pays. Mais les autorités russes pensent très différemment au sujet de l’Internet.
Leur concept a été résumée par le Big Brother par excellence du pays, le président Vladimir Poutine. Jeudi passé, lors d'une conférence de presse, il a dit: «L'Internet est en train de devenir une opération spéciale de la CIA et continue à se développer dans cette direction».
En réponse à la volonté de Poutine de bloquer l'échange d'informations avec l’étranger, la nouvelle loi introduit de nouvelles normes qui façonneront la blogosphère en Russie de manière catastrophiques. Tous les fournisseurs de messageries et les propriétaires de réseaux sociaux devront stocker les informations sur leurs utilisateurs, leurs messages et leur communication e-mail sur des serveurs en Russie. Et ces fournisseurs devront permettre aux agents du FSB de surveiller l’accès et le trafic complet - c’est-à-dire: d’intercepter les utilisateurs.
Les sociétés Internet russes ont déjà manifesté leur opinion négative sur la nouvelle loi. «Si il ya trop de réglementation, de sorte que les entreprises sont tenues d'obtenir des licences spéciales des organismes gouvernementaux pour utiliser leur équipement et logiciels, la Russie perdra l'Internet comme un secteur de croissance dans notre pays», a déclaré Dmitri Grichine, le directeur-général de Mail.ru dans une interview avec Rbc.ru.
Les entreprises étrangères n'ont pas officiellement commenté, mais il est déjà clair qu'ils ne pourront pas répondre aux exigences de la loi. Outre le fait que la mise en place de centres de données en Russie est coûteux et compliqué, ils seraient en violation des lois de la vie privée dans leur propre pays.
Anton Nosik, un analyste notoire de l’Internet, estime que les autorités vont bloquer accès à Facebook et Twitter dès que la loi entre en vigueur le 1er août 2014. Nosik crois que c'est «la prochaine étape logique dans la législation sur la censure en Russie, qui a pour but de limiter les discussions incontrôlés et les critiques sur des autorités».
Si la prédiction de Nosik est vraie, les utilisateurs vont rire avec la plaisanterie amère du populaire micro-blogueur Arsène Bobrovsky, aka @KermlinRussia: «L'Internet russe a 20 ans. Dommage de mourir à un si jeune âge».
Article publié par Victor Davidoff dans The Moscow Times, le 27 avril 2014
Note - En avril 2014, Pavel Dourov, le fondateur de vKontakte, l'éqyuivalent russe de Facebook, a été démissionné. Selon lui, c'était parce qu'il avait refusé de remettre les détails personnels des utilisateurs au Service secret russe FSB. Actuellement, vK est contrôlé par Ilia Sherbovitch, membre du conseil d'administration de la société pétrolière d'Etat Rosneft, et Alicher Ousmanov, co-propriétaire de Magefon. Les deux sont de proches alliés de Vladimir Poutine. Les observateurs considèrent cette démission comme une préparation à l'interdiction de Facebook en Russie.
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