L'enlèvement de Margarita Prokopenko

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L'histoire de Margarita devenue Marina

Une cinquantaine d'enfants du Centre de réadaptation sociale et psychologique, un foyer pour enfants de Kherson, ont été enlevés par des membres de la Douma d'Etat russe avec l'aide d'employés de Kherson et de Crimée. Un enlèvement en particulier a attiré une attention particulière: il a été perpétré délibérément sur ordre.


L'enlèvement

Notre histoire commence le 25 février 2022. C'est à ce moment-là que Pavlo Anatoliovitch Smoliakov, le pasteur de l'église baptiste locale Golgotha ​​​​à Kherson, a vu une photo d'enfants de l'orphelinat susmentionné sur le sol d'un abri anti-bombe municipal, où ils étaient pris en charge par le personnel de leur établissement. «La photo n’était, c’est le moins qu’on puisse dire, pas pour les âmes sensibles. Il y avait beaucoup de monde, la pièce était sombre et humide. Le sol était mouillé, il y avait des matelas dessus et des enfants rampaient partout, des bébés aux enfants de quatre ans. Ils avaient déjà passé une nuit là-bas. Et nous avons réalisé que si ces enfants restaient ici quelques jours de plus, ce serait la fin pour eux», a-t-il déclaré.

Les enfants avaient été emmenés au refuge municipal parce que les médecins et les enseignants des orphelins craignaient que l'armée russe ne prenne bientôt Kherson, et parce que des rumeurs sur les déportations d'enfants étaient déjà parvenues à Cherson.

Fin avril 2022, un homme se faisant appeler Navigateur, cachant son visage derrière une cagoule, est arrivé à Kherson, accompagné d'occupants armés, et a ordonné au prêtre de ramener les enfants à l'orphelinat. Le prêtre obéit.

Après cela, les Russes ont renvoyé le directeur de la maison parce qu'il refusait de coopérer avec les occupants. Ils ont nommé à sa place Tatiana Vasilievna Zavalskaïa (°1953), une pédiatre locale.

Le soi-disant Navigateur a ensuite été identifié comme étant Igor Yourievitch Kastioukevitch (°1976), qui a été nommé secrétaire de la branche de Kherson de Russie Unie, le parti de Vladimir Poutine, en 2023. Pour information: le 2 mars 2022, la ville de Kherson est passée sous contrôle russe, mais le 11 novembre, l'Ukraine a repris le contrôle de la ville et l'armée russe s'est retirée. En raison de sa participation à l’agression russe pendant la guerre en Ukraine, Kaskikevitch est soumis à des sanctions internationales personnelles de la part de plusieurs pays.

En août 2022, deux femmes russes se sont présentées à l'hôpital régional pour enfants de Kherson. L'agence de presse Reuters a identifié l'une d'entre elles comme étant Inna Gennadievna Varlamova (°1968), employée du ministère du Développement social de la région de Moscou et épouse de Sergueï Mikhaïlovitch Mironov (°1953), chef du parti Russie juste dans la région de Moscou. Russie juste est un parti d’opposition reconnu par l’État qui accepte l’autorité de Poutine. La femme qui accompagnait Inna Varlamova était Yana Valerievna Lantratova (°1988), chef adjointe du groupe Russie juste à la Douma d'État. Les femmes se sont intéressées à Ilia Vachtchnko et Margarita Prokopenko, deux enfants âgés respectivement de 6 et 9 mois de l'orphelinat, qui étaient soignés à l'hôpital pour une bronchite obstructive. Il s’agissait toutefois d’un diagnostic sur papier, destiné à éviter que les enfants ne leur soient retirés.

Varlamova et Lantratova ont insisté pour que ces deux enfants soient renvoyés à l'orphelinat, bien que Natalia Pavlovna Lioutikova, la chef du département pédiatrique de l'hôpital, leur ait dit qu'ils ne pouvaient pas être libérés en raison de leur forte fièvre. Selon Natalia Lyutikova, la femme russe s'intéressait beaucoup aux enfants et posait des questions comme: «Sont-ils gentils?», «Est-ce qu’ils sont bons?», et elle voulait savoir si les enfants avaient des handicaps. «Elle a également appelé le directeur et m’a demandé si elle pouvait vérifier l’état des enfants. J'ai dit non, parce que l'état des enfants était moyen... Après cela, elle m'a appelé tous les jours et m'a dit que ces enfants avaient été sélectionnés pour être emmenés à Moscou».

Mais ensuite elle a dit ce qui suit: «Un jour, nous sommes rentrés à la maison à 18 heures, et à 18h30, le médecin de garde a appelé pour dire qu'il avait reçu l'ordre du médecin-chef par intérim d'emmener les enfants à la maison des enfants - dans notre voiture d'hôpital, et le lendemain, ils ont été emmenés de là».


Les complices

L’intérêt porté à ces deux enfants en particulier n’était pas une coïncidence. Il s'agissait de deux jeunes orphelins qui avaient été co-sélectionnés par la nouvelle directrice de l'orphelinat, Tatiana Vasilievna Zavalskaïa, nommée par les Russes. Elle a également organisé la remise des enfants de l'orphelinat aux ravisseurs et elle les a aidés à emmener les enfants de Kherson vers les zones contrôlées par la Russie. Elle était devenue directrice parce que les six autres médecins sur sept étaient partis, ils ne voulaient pas coopérer avec l'occupant. Zavalskaïa était la seule à vouloir faire cela et est donc devenue directrice de l'hôpital

L'autorisation de sortie de l'hôpital des enfants a été donné par le médecin-chef par intérim, Viktor Stepanovitch Bourdovityne, âgé de 70 ans. Avant l'occupation de Kherson, il travaillait comme chef du service médical, et après l'arrivée des Russes, il collabora volontiers avec les occupants et devint le visage de l'hôpital - il apparaissait souvent dans des documents de propagande et disait que la médecine était «en dehors de la politique» et il a remercié les occupants pour leur aide.

Bourdovityne a également donné aux Russes accès aux dossiers médicaux et aux dossiers personnels des policiers locaux. Ces documents étaient conservés à l’hôpital. Il s'est avéré par la suite que des personnes avaient été menacées de détention et de torture supplémentaire dans des caves. En juin 2022, le bureau du procureur général ukrainien a informé Bourdovityne qu'il était soupçonné de trahison. Bien qu'il ne se considérait pas comme un traître et qu'il ait fermement déclaré aux médias de propagande russes qu'il resterait à Kherson, il a disparu des radars en même temps que les Russes et on ignore où il se trouve.

D'autres personnes impliquées dans l'aide apportée à Inna Gennadievna Varlamova et Yana Valerievna Lantratova pour enlever les enfants et les emmener en Russie étaient Artich Mikhailovitch Sat (°1983), conseiller de Volodymyr Vasilievitch Saldo (°1956), le gouverneur fantoche de Kherson. Artich Sat a été nommé par les Russes. en tant que Ministre de la Santé de la région de Kherson. Il a recommandé, en tant que représentant du gouvernement d'occupation, que les enfants soient emmenés sur le territoire de la Fédération de Russie pour «traitement et réadaptation».

Finalement, c'est le mystérieux Vadim Viktorovitch Ilmiev (°1966) qui a signé le permis de transfert. Ilmiev était le fondateur de la fondation caritative «La Bonne Cause» et le chef de l'organisation civile «Fonds d'assurance maladie». En 2007, tous les directeurs d'hôpitaux, enseignants, médecins et bibliothécaires de Kherson ont dû devenir «volontairement» membres de l'organisation «Caisse d'assurance maladie». Le fonds s'est engagé à transférer un montant de 5 hryvnias de chaque salaire au fonds d'une organisation publique. Cette contribution est considérée comme une assistance mutuelle en cas d’urgence, sur laquelle tous les employés du secteur public de Kherson peuvent compter. Le résultat de cette escroquerie était que des fonds étaient collectés chaque année, mais lorsque de l’aide était réellement nécessaire, personne ne recevait jamais d’argent.

Ilmiev a signé l'autorisation de transfert susmentionnée avec la directrice nommée par les russes Tatiana Vasilievna Zavalskaïa..

Le 6 juin 2023, il est arrêté pour détournement de fonds d’une ampleur particulièrement importante. Selon les enquêteurs, Vadim Ilmijev, utilisant sa position officielle, a volé entre le 1er septembre 2022 et le 14 avril 2023, de l'argent d'un montant de plus de 26,5 millions de roubles au ministère de la Santé de la région de Kherson, destiné à payer les salaires des employés de l'hôpital de la ville. Fin mars 2023, Ilmiev a quitté la région et s'est installé en Crimée.


La transition

Inna Varlamova, qui est venue chercher Margarita à Kherson, est donc l'épouse de Sergueï Mikhaïlovitch Mironov, le leader du parti Russie juste à la Douma. Les enquêteurs de la chaîne britannique BBC ont découvert que Varlamova était arrivée à Kherson le jour où Margarita avait été retirée de l'orphelinat et était revenue à Moscou la même nuit, et que Margarita Prokopenko était dans le même train.

Au cours de cette enquête, la BBC a également découvert que les Mironov avaient soudainement eu une fille de 14 mois. Lorsque les enquêteurs ont mis la main sur les documents de l'enfant, ils ont vu que le nom de l'enfant était devenu Marina et que sa date de naissance était la même que celle de l'Ukrainienne Margarita Prokopenko. Un certificat de naissance officiel n'était pas disponible, mais une enquête plus approfondie a révélé un dossier d'adoption, qui à son tour a révélé que Margarita Prokodenko de Kherson avait été renommée Marina Mironova de Moscou peu après son enlèvement de Kherson, et que son lieu de naissance aurait été Podolsk, l'une des plus grandes villes satellites de Moscou.

On sait peu de choses sur le sort du garçon enlevé Ilia Vachtchnko. Selon Dmitri Valerievitch Loubinets (°1981), le Commissaire des droits de l'homme de la Vertchiovna Rada (le parlement ukrainien), a fait la déclaration suivante: «Après qu'il a été examiné à Moscou et qu'on lui a diagnostiqué une maladie, nous soupçonnons que la famille Mironov j'ai décidé de le rejeter parce qu'il était malade. Mais nous ne pouvons pas déterminer ce qui est arrivé au garçon après cela et où il a été emmené»

L’adoption d’enfants ukrainiens en Fédération de Russie est illégale. Selon les normes internationales et nationales, les étrangers doivent informer l’Ukraine et demander une autorisation avant d’adopter un enfant ukrainien. Cependant, la Russie tente de contourner ce problème en accordant la citoyenneté russe aux enfants ukrainiens enlevés sans leur demander leur avis.


La finale

À la veille de la libération de Kherson par les forces armées ukrainiennes en octobre 2022, le navigateur Igor Yourievitch Kastioukevitch est retourné à l'orphelinat. À cette époque, il y avait encore 48 enfants vivant dans le foyer. Après tout, les enseignants avaient réusi à rendre certains enfants à leurs parents ou à leurs proches. Des rumeurs circulaient depuis un certain temps selon lesquelles ils seraient tous emmenés en Russie.

Le 21 octobre 2022, un vendredi noir, des bus, des ambulances, des soldats russes armés, des propagandistes et des «volontaires de la Crimée» un groupement inconnu jusqu’à ce jour sont arrivés à l’orphelinat. Avec l'aide active de la directrice Tatiana Vasilievna Zavalskaïa, les Russes ont emmené tous les enfants vers la Crimée qu'ils occupaient. L'un d'eux était Maksim, le demi-frère de trois ans de Margarita Prokopenko

Le personnage principal du crime était encore une fois Igor Kastioukevitch. Il se peut que des accusations et un mandat d'arrêt international soient portés contre Kastioukevitch lui-même. En plus du crime d'avoir accueilli des orphelins de Kherson, les services de sécurité ukrainiens l'ont également accusé en mars 2023 d'avoir organisé un pseudo-référendum sur «l'adhésion de la région de Kherson à la Fédération de Russie».

«Il y a le droit international, il y a le droit humanitaire, il y a des traités qui stipulent clairement qu’un État agressif qui se trouve sur un autre territoire n’a pas le droit d’accueillir et de transporter des enfants. Sous aucun prétexte! Même si, selon eux, il s'agit d'une 'évacuation' ou d'un 'sauvetage'», explique l'homme d'État ukrainien et défenseur des droits des enfants Mikola Mikolaïovtch Kouleba (°1972). «Ce que la Russie fait aux enfants est un crime de guerre et un génocide. Et nous en avons la preuve irréfutable. Toutes ces vidéos et photos seront ou ont déjà été remises aux autorités compétentes, aux organisations internationales, pour le futur tribunal. Là, Poutine et ses acolytes regarderont ces vidéos et expliqueront ce qu'ils ont fait».

La Russie affirme que tous les enfants évacués seront renvoyés en Ukraine. Mais jusqu'à présent, un seul enfant a été ramené du foyer Cherson. L'Ukraine ne devrait pas trop compter sur l'aide de la Commissaire fédérale russe aux droits de l'enfant Maria Alekseïevna Lvova-Belova (°1984). Elle-même a «adopté» un enfant enlevé à Marioupol et en est très fière, comme vous pouvez le voir dans cette vidéo.


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